Le sac à dos émotionnel

"Laisse tes problèmes à l'entrée du manège."

C'est une des phrases avec lesquelles j'ai grandi. C'est une des phrases qui seront bientôt, je l'espère, bannies du monde équestre.

On ne s'attardera pas sur l'incohérence la plus flagrante qui cherche à nous faire croire que le travail commence lorsque l'on passe la lice de la carrière. Si vous suivez encore mes récits, c'est que vous avez dépassé ce stade depuis longtemps. Si vous nous rejoignez seulement, alors sachez que vous avez passé ce stade depuis longtemps. Ou allez lire le reste.

Moi ce qui m'importe ce soir, c'est ce sac à dos émotionnel et l'intrusion constante qu'on refuse à nos chers poneys mais qu'on leur inflige impunément. Premièrement parce que j'aime ma petite analogie, que je trouve parlante et joliment illustrée. Deuxièmement parce que j'en ai beaucoup parlé ce week end, ce qui veut dire qu'on en parle pas assez d'habitude.

J'entends régulièrement des cavaliers me dire qu'ils ont travaillé le respect, "élément capital de l'éducation d'un cheval", et qu'ils ont fait attention à ne pas laisser leur fidèle compagnon être trop intrusif. S'en suit toujours un blanc, parce que je ne sais jamais trop par où commencer. Et puis je me lance, je dégaine mon laïus sur le respect (que vous avez pu lire il y a quelques mois ici-même) et je conclu sur le fait que le respect est un résultat et non une solution, une conséquence et non un moyen. Bon là, en général, j'en ai perdu pas mal, donc je rengaine mon sabre et me recentre. 
Demander à Poney de respecter mon espace, c'est essentiel. Mais est-ce qu'on respecte le sien, nous ? Probablement pas.

Et on aura toujours tendance à être un peu intrusif, soyons honnête. Déjà parce qu'on voudrait bien monter, ou longer, ou peut-être juste panser. Cette pression là, elle existe à partir du moment où l'on décide de posséder un cheval (ou de monter celui d'un autre), alors on arrête de se voiler la face, on reconnait que l'équitation est un sport quelque peu égoïste et on accepte, sans culpabiliser, ce rôle inconfortable de perturbateur.
Sans culpabiliser, parce que cette pression n'est pas (forcément) négative. Elle existe, de façon neutre, à partir du moment où l'interraction a lieu. 

Une fois qu'on a compris ça, on a déjà fait la moitié du chemin. L'autre moitié, un peu plus tortueuse, c'est d'accepter de ne pas être maître de cette pression. Et c'est là que mon sac à dos intervient. Lorsque j'approche Poney, je ne viens malheureusement pas seule, parce que non, on ne laisse pas ses problème à l'entrée du manège et encore moins à l'entrée du pré. On est ce genre d'être à tout emmener avec nous, malgré les doux sourires scotchés sur le visage et cette petite voix qui te dit que tout va presque bien en boucle dans ta tête.

Lorsque j'entre dans le pré de Poney, j'entre avec un énorme sac à dos rempli d'informations sur ma journée, ma semaine, mon état de fatigue, de stress, mes peurs, mes appréhensions et mes envie de danse de la victoire. Autant d'informations qui lui sautent à la figure un peu plus à chaque pas. Certains d'entre eux le vivent très bien, parce qu'ils savent gérer leurs émotions et peuvent assumer celles des autres. D'autres... moins. Et c'est là qu'on voit apparaître de jolis signaux d'évitement : une oreille un peu figée, un regard sur l'extérieur, un pas en arrière, une épaule fuyante... 

Qu'est-ce qu'on fait alors, si on ne peut rien laisser à l'entrée du pré et qu'on ne veut pas infliger tout ça à Poney ? On fait ce qu'on peut, et c'est déjà bien. 
Sinon, deux choses qui peuvent aider. 

  • Accepter son sac à dos. Avoir conscience de ses émotions, les accepter et organiser sa séance autour, c'est être cohérent aux yeux de son cheval. Et la cohérence, c'est l'un des piliers fondamentaux de son confort. 
  • Reconnaitre ces petits signes d'évitement, petits drapeaux blancs levés pour vous prévenir que tout va un peu trop vite. Prendre le temps de s'arrêter, de reculer, de laisser Poney observer, accepter, souffler, digérer, et surtout, surtout, respecter son espace et attendre une invitation avant d'entrer. 

L'équitation est un travail constant sur soi, et puis ensuite un peu sur le cheval. On le dit, on le répète et c'est bien, mais il me semblait important de le souligner encore une fois. On a beau croire qu'on contrôle, quand il s'agit de nos émotions, on est simple passager. Et malheureusement pour nous, on est tombés amoureux d'êtres particulièrement sensibles à tout ça. Alors pourquoi ne pas se laisser guider un peu et s'essayer à ce nouveau jeu. Il ne s'agit pour l'instant pas de changer, il s'agit simplement d'avoir conscience.


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