C’est marrant comme une
gueule de bois peut donner envie de jouer avec les mots des heures durant
autour d’un rien. Ou peut-être que ca n’a rien à voir avec l’alcool d’hier,
puisqu’après tout j’ai échappé aux maux de tête, vomissements, courbatures… Bon
d’accord, j’ai loupé mon réveil, et j’ai émergé une fois que tout le travail était
fini, juste à temps pour un bol de céréales et un poney à travailler. Mais
est-ce qu’une grasse matinée limitée compte comme gueule de bois ?
Je pensais vous
parler de poney, ou vous raconter ma folle nuit américaine, mais me voilà
assise devant cet écran, lui-même posé devant la fenêtre, et je ne vois rien,
parce que les nuages sont si sombres et le vent est si violent que les
tourbillons de sable me cachent toute vue. Alors je repense à cet instant
magique qui a eu lieu aujourd’hui aux environs de 11h23. Et je me dis que c’est
fou, cette façon qu’a le temps de jouer avec nos sentiments. Et pas le temps
qui passe. Parce que lui c’est normal, il joue avec tout ce qu’il a sous la
main. Nonon, le temps qu’il fait.
Ce matin, à
approximativement 11h23, il a plu. (J’apprendrais par la suite qu’en fait il a
plu toute la nuit, mais cela ne viendra en rien gâcher ma plénitude.)
Vous ne le savez peut-être
pas, moi je ne le savais pas avant 11h23,
mais la pluie dans le désert est une
chose formidable.
On est le 5 mai, c’est
l’anniversaire de ma grand-mère, et ça fait maintenant 4 semaines tout pile que
je suis arrivée ici. J’ai vu la neige, le soleil, le vent, le froid désertique,
la canicule écossaise, les tourbillons de sable. Le paysage était blanc quand
je suis arrivée, puis la fine pellicule de coton a disparu et laissé place à
une végétation quasi-inexistante et complètement morte, jaunie par l’hiver. Par
un phénomène que je n’explique pas, les collines ont peu a peu verdi (et
qu’on ne me parle pas de pluie, il n’y en a pas eu). De loin, quand on observe
la vallée, on croirait vraiment qu’il y a de l’herbe. De près, on se rend
compte que ce ne sont que des buissons de sauge. D’innombrables, inutiles, pas
si jolis buissons de sauge, dans lesquels on trébuche quand on va chercher un
poney, desquels on se méfie après y avoir vu le plus gros nid de veuves noires
tellement gros qu’on a réussi a le voir du haut d’un poney en plein galop,
bref, qu’on fini par ne pas aimer tant que ça. Jusqu'à ce matin, 10h37.
Alors que les nuages
gris tentent de s’arracher à la colline, laissant quelques baleines échouées ça
et là (Keke, Julie, j’espère que vous savourez la référence), cette odeur tant aimée
qui annonce la pluie après une grosse chaleur empli l’air. Grace à la magie des
sens, un coup de vent me ramène dans les Landes un jour de tempête avec
Camille. L’annonce olfactive de la pluie apporte le confort du connu et se
distingue pourtant de toute autre par son petit goût aromatisé. La sauge prend
alors un tout autre sens, et en devient magnifique. J’entends la pluie avant même
de la sentir. Les gouttes rebondissent sur le toit des paddocks, puis de l’écurie.
Elle avance et avec elle grandi cette sensation que j’aurais bien du mal à décrire.
J’aime la pluie. J’aime
son odeur, que ce soit sur le bitume un soir d’été à Lyon ou dans un champ en
Ecosse. J’aime sa façon de m’inciter discrètement à rester au lit plutôt que d’aller
travailler. J’aime sa musique, délicate qui donne envie de pisser ou fracassante
qui empêche de dormir. J’aime comme elle emmerde tout le monde, j’aime les
flaques et je déteste les parapluies. J’aime la pluie, exactement comme j’aime
le bacon. Et pourtant, la bonne odeur de bacon grillé un doux matin écossais ne
m’a jamais filé cette même sensation au fond du ventre (des gargouillis bien
souvent par contre), ce sourire niais et cette mélancolie pré-pubère que me
touchent lorsqu’il pleut.
La pluie dans le desert, c'est toutes ces choses puissance dix.
Accusez-moi de
romantisme, ou de simple recours au journal intime de mon moi adolescent, je me
contenterai pour ma part d’accuser cette gueule de bois refoulée pour mon
besoin inattendu de m’attarder aujourd’hui sur la complexité et l’inexpliqué fonctionnement
du cerveau humain.
Ah, et je tenais
aussi à vous dire ça. L’autre soir, pour une raison inconnue mais que je
mettrais sur le compte des hormones, j’étais triste. Alors j’ai allumé mon
portable pour la première fois depuis des semaines, et j’ai lu les quelques
mots que certains d’entre vous et bien d’autres ont envoyé là. Salut, j’ai
douze ans. Le fait est qu’il a suffi de trois sourires, deux yeux humides et un
éclat de rire pour que je ne sois plus triste du tout, bien au contraire. J’ai
des copains en or qui me remplissent de joie sans même le savoir, de l’autre
bout du monde. Merci, Dieu des amis.
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